L’immunothérapie nous sauvera-t-elle de la COVID ?


Donald Trump a reçu le cocktail d’anticorps monoclonaux développé par Regeneron pour traiter la COVID. Mais ces médicaments, qu’il présente comme des produits miracles, sont-ils réellement efficaces et accessibles ?

Pour combattre une infection, rien n’est plus efficace que les anticorps produits par notre système immunitaire. Les isoler pour en faire des médicaments, voilà qui, en théorie, pourrait traiter la COVID chez les personnes qui ne parviennent pas à combattre le virus. Un tel cocktail d’anticorps, conçu par Regeneron, a été administré plus tôt en octobre au président Trump, qui depuis affirme qu’il ne faut pas avoir peur de la COVID. Mais ce traitement est-il à la portée des 300 000 personnes infectées chaque jour dans le monde ? Et est-il même aussi efficace que le clame le président des États-Unis ? Des essais ont commencé pour des centaines d’anticorps, mais cette approche se heurte encore à plusieurs difficultés de taille.

Comment ça fonctionne ?

Quand le système immunitaire repère un ennemi — un virus comme le SRAS-CoV-2, une bactérie ou une cellule cancéreuse —, certains globules blancs, les lymphocytes B, cherchent à l’éliminer en produisant des milliers d’anticorps différents. Chacun attaque l’ennemi sous un angle particulier en tentant de se lier à une des molécules présentes à sa surface. Cependant, seuls quelques anticorps trouvent les véritables points faibles de cet ennemi et parviennent à le neutraliser. 

En 1975, des chercheurs ont pour la première fois réussi à produire en laboratoire un anticorps monoclonal, c’est-à-dire une molécule unique obtenue à partir d’un seul globule blanc qui fabrique naturellement cet anticorps dans le corps humain. Pour en obtenir de grandes quantités, ils ont fusionné le lymphocyte avec une cellule cancéreuse capable de se cloner elle-même. Ils ont obtenu ainsi une multitude de cellules identiques produisant toutes le même anticorps. Cette technique leur a valu le prix Nobel de médecine en 1984.

Depuis, plusieurs méthodes de fabrication ont été inventées. La plus utilisée consiste à cultiver des cellules d’ovaires de hamsters, dont on modifie le génome pour y introduire la séquence d’ADN correspondant à celle qui donne l’anticorps souhaité. La fabrication des anticorps reste très longue (près de trois mois pour un seul lot !) et complexe : il faut modifier les cellules, les cultiver en grandes quantités, attendre qu’elles produisent les anticorps, puis isoler ceux-ci, les purifier et les mettre dans une solution injectable au patient, tout ça sans qu’ils perdent en efficacité.

Le premier traitement par anticorps monoclonaux (immunothérapie) a été approuvé en 1986. Depuis, environ 80 ont été commercialisés, surtout contre des cancers et des maladies auto-immunes, et près de 600 sont au stade des essais cliniques. Ces médicaments biologiques sont considérés comme la voie d’avenir contre les cancers, car certains sont extrêmement efficaces et entraînent peu d’effets secondaires. Quelques anticorps ciblent aussi des microbes, comme le VIH, le virus respiratoire syncytial, le bacille du charbon, la bactérie C. difficile et le virus Ebola.

Les traitements restent très onéreux : en moyenne, une année de traitement d’un cancer avec des anticorps coûterait près de 100 000 dollars américains, selon une étude récente. 

Les anticorps monoclonaux contre la COVID

Fin février, des chercheurs du laboratoire AbCellera, à Vancouver, ont obtenu un échantillon de sang d’un des premiers Américains à avoir contracté le virus. En 11 jours, ils ont analysé 5 millions de ses globules blancs et en ont trouvé 500 ayant produit autant d’anticorps différents contre le virus. L’entreprise, qui a reçu 175 millions de dollars du gouvernement fédéral pour poursuivre ses recherches, s’est ensuite associée au géant Eli Lilly pour tester les anticorps les plus prometteurs. En juin, la société a lancé le tout premier essai clinique d’un anticorps contre la COVID, le LYCoV555. 

Depuis, Eli Lilly et d’autres ont amorcé une centaine de projets de recherche pour tester de multiples anticorps. « Certains visent à empêcher le virus de pénétrer dans les cellules humaines, d’autres sont destinés à maîtriser la surinflammation après l’infection », explique Frédéric Leduc, fondateur d’Immune Biosolutions, une entreprise de Sherbrooke qui fabrique différents anticorps monoclonaux depuis 2012, contre des cancers et la bactérie C. difficile.

En mars, Immune Biosolutions s’est aussi lancée à l’assaut du SRAS-CoV-2 en analysant le plasma de 10 personnes guéries de la COVID et en utilisant le système immunitaire de poulets capables de produire des anticorps quand les protéines du virus leur sont injectées. L’entreprise en est aux tests chez les animaux, en phase préclinique.

Obtenir des anticorps efficaces contre le coronavirus n’est cependant pas une mince affaire. « Il y a trois conditions gagnantes difficiles à réunir », explique Frédéric Leduc. D’abord, il faut trouver une molécule qui va s’attacher au virus et ne plus le lâcher tant qu’il essaie de pénétrer dans l’une ou l’autre de nos cellules. Ensuite, il faut que cet anticorps se fixe spécifiquement au virus, tout en étant capable de tolérer de petites variations dans le génome de celui-ci, qui peuvent apparaître au fur et à mesure qu’il voyage et que le temps passe. Enfin, il faut un anticorps assez « costaud » pour résister à toutes les étapes de la production.

Fin septembre, la société pharmaceutique américaine Regeneron a annoncé, sans preuve à l’appui, avoir assez avancé dans son essai de phase 3 pour affirmer que son cocktail de deux anticorps monoclonaux permet de diminuer la charge virale et les symptômes chez des patients n’ayant pas encore réussi à produire leurs propres anticorps. Le jour où le président Trump présentait ce remède comme un miracle (même s’il n’y a aucune preuve qu’il ait joué un rôle dans sa guérison), Regeneron a déposé une demande d’approbation d’urgence à la Food and Drug Administration.

Un peu plus tôt, elle avait dû mettre fin aux essais menés avec Sanofi sur le Kevzara, cet anticorps utilisé pour le traitement de la polyarthrite n’ayant montré aucun bénéfice pour les patients atteints de la COVID.

Quant à Eli Lilly, elle a annoncé que, lors de son essai de phase 2 cet été, 1,6 % des personnes traitées avec le LYCoV555 avaient dû être hospitalisées, contre 5,8 % des patients ayant reçu le placebo, une preuve qu’il est en partie efficace. Le 13 octobre, elle a toutefois dû stopper son essai clinique de phase 3 sur ordre de la FDA pour des raisons que ni l’entreprise ni les autorités n’ont encore précisées. Selon Reuters, qui cite des sources anonymes de la FDA, le problème serait lié à des manquements graves aux règles de bonne fabrication dans l’usine d’Eli Lilly.

Ça marche ?

Au vu des données publiées, les bénéfices des anticorps paraissent assez limités. « Même si je crois en cette technique, force est de reconnaître que, pour l’instant, les résultats ne sont pas extraordinaires, dit Frédéric Leduc. Ce virus infecte d’abord des cellules superficielles que les anticorps semblent avoir du mal à atteindre. » 

Dans tous les essais, les sujets ont reçu des doses que le spécialiste qualifie de « monstrueuses » : plusieurs grammes d’anticorps par patient. En raison du prix du traitement et de la capacité de production limitée, on ne pourra de sitôt fournir ces doses massives à large échelle, quand bien même certains anticorps seraient bientôt approuvés. Regeneron, qui a déjà reçu un demi-milliard de dollars d’aide gouvernementale, pense être capable d’en produire assez pour traiter 50 000 personnes, alors qu’on recense plus de 300 000 infections chaque jour dans le monde ! Le coût du traitement n’a pas encore été dévoilé, mais il pourrait être de plusieurs centaines, voire de plusieurs milliers de dollars par personne.

Immune Biosolutions et d’autres laboratoires travaillent à une nouvelle génération d’anticorps. Toutefois, les essais cliniques commencent à peine, et il faudra attendre au moins un an avant une approbation éventuelle. Frédéric Leduc croit aussi qu’on devra trouver des biomarqueurs pour repérer les gens à qui les anticorps sont le plus bénéfiques, car il est utopique de penser les donner à tout le monde.

Il faudra aussi du temps et beaucoup d’argent pour augmenter les capacités de fabrication : comme l’utilisation des anticorps dans le traitement des cancers est déjà en plein boum, trouver des équipements et des réactifs pour de nouvelles usines est un énorme défi. Avec d’autres partenaires, Immune Biosolutions espère mettre sur pied une unité de production d’anticorps au Québec. Un projet pourrait être annoncé « prochainement ».