Nobel de chimie: un petit velours pour un chercheur de l’UL


Il y a un chercheur de l’Université Laval à qui le Nobel de chimie annoncé mercredi matin a fait un petit velours particulier. Le chercheur en microbiologie Sylvain Moineau a en effet posé des jalons importants dans le chemin qui a mené jusqu’à CRISPR-Cas9, ce «traitement de texte» de l’édition génétique qui vient d’être nobélisé.

«On est vraiment très heureux de la reconnaissance que Jennifer [Doudna] et Emmanuelle [Charpentier] reçoivent maintenant pour l’outil absolument merveilleux qu’elles ont mis au point. C’est une reconnaissance pour l’ensemble du domaine, tant pour ceux qui ont travaillé sur le système naturel que pour ceux qui ont mis au point l’outil final», a dit M. Moineau lors d’un entretien avec Le Soleil.

Avant que Mmes Doudna et Charpentier ne peaufinent cet «outil», les méthodes dont on disposait pour modifier le génome des êtres vivants ne permettaient essentiellement que d’ajouter un gène à la fois — et théoriquement d’en retirer un, mais c’était si fastidieux qu’en pratique peu de gens le faisaient. Cela avait ouvert la porte sur des innovations utiles, par exemple des plants de «maïs Bt» dans lesquels on avait introduit un gène de bactérie pour leur faire produire leur propre insecticide naturel, mais cela restait assez limité. C’était l’équivalent d’un logiciel de traitement de texte qui ne pourrait rien faire d’autre qu’ajouter une page de texte à la fois — pas ajouter de mot ni en retiré, pas modifier des paragraphes, juste ajouter des pages.

Le système CRISPR-Cas9, lui, est en quelque sorte la «version complète» du traitement de texte : avec lui, on est désormais capable de d’ajouter et d’enlever tous les gènes qu’on veut, mais aussi de les modifier avec une précision inégalée, «lettre par lettre». Il s’agit d’une révolution technologique qui pourrait, à terme, avoir une ampleur comparable à celles qu’ont engendrées, par exemple, le laser et l’ordinateur.

Mais avant d’en arriver là, il a fallu comprendre ce qu’était, au juste, que ce système CRISPR, qui est un acronyme pour l’anglais clustered regularly interspaced short palindromic repeats, donc un «amas de séquences génétiques pouvant se lire dans un sens ou l’autre, répétitives et espacées régulièrement». Découverts dans des bactéries à la fin des années 1980, ces «amas» sont restés un mystère pendant longtemps, mystère d’autant plus épais que ces séquences génétiques n’étaient pas d’origine bactérienne, mais bien virale — de surcroît, des virus qui s’attaquent aux bactéries.

Les travaux de M. Moineau ont grandement contribué à résoudre l’énigme. Deux de ses études sont d’ailleurs citées dans l’historique de CRISPR disponible sur le site des prix Nobel, soit un article paru en 2007 dans Science, qui a prouvé que CRISPR conférait aux bactéries une résistance contre les virus, et un autre paru dans Nature en 2010, où M. Moineau et son équipe démontraient que la protéine Cas9 servait de «ciseau» pour couper le matériel génétique viral, et que les séquences génétiques CRISPR servaient de «guide» pour reconnaître quelles séquences génétiques il faut couper.

Mais personne, à ce moment-là, ne se doutait encore de ce qui allait suivre. «Ce que [Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier] ont fait de plus, ensuite, c’est qu’elles ont sorti certains éléments du système naturel qui est présent chez les bactéries, relate M. Moineau. Elles ont sorti la partie qui reconnaît les séquences génétiques et qui sert en quelque sorte de GPS, elles ont sorti la partie ciseau, et elles ont montré qu’on pouvait en tirer un outil formidable ! Et ce qui a surpris tout le monde par la suite, c’est la versatilité du système. Ça marche non seulement sur du matériel génétique in vitro, mais aussi sur des cellules complètes. Et on oublie souvent de le dire, mais ce système-là a ensuite été décliné d’une foule de manières différentes, par exemple pour réduire l’expression de certains gène. Il y a tellement d’autres applications, je ne serais même pas capable de toutes les nommer !»

«C’était vraiment juste une question de temps avant qu’elles remportent un Nobel», conclut le chercheur.